En 2003, Alain Fleischer, écrivain, artiste protéiforme, également directeur du Fresnoy, investit la Maison européenne de la Photographie pour une grande rétrospective incluant des photographies, des installations et des films.
Je participe à la mise en place de ces installations, et programme, avec son aval artistique, une rétrospective de la majeure partie de son importante production cinématographique. Plus de soixante films et vidéos, sur plus de cent fictions, documentaires et films expérimentaux, les titres manquants n'étant plus disponibles ou en cours de re-montage.
Présenté comme "cinéaste, photographe, plasticien et écrivain", affilié à Cocteau, Alain Fleischer expérimente l'image. Cet automne, plusieurs expositions parisiennes consacrent son travail et tentent de révéler les différentes facettes de cette figure singulière de l'art contemporain.
L'exposition à la Maison Européenne de la Photographie est de loin la plus riche. La complexité et la diversité du travail d'Alain Fleischer sont rendues, à la fois, visibles et lisibles. Rassemblées dans ce même espace, installations et séries photographiques se succèdent et se répondent. Comme les Écrans Sensibles, l'objet duchampienAutant en emporte le vent, est une interrogation explicite du cinéma. Un appareil projette un visage de femme sur un ventilateur en marche, l'objet, déjà utilisé pendant la prise de vue, forme un écran "mobile". L'image est flottante et l'origine du mouvement demeure indécis. Selon Didier Semin, Alain Fleischer s'est établi dans un domaine, celui entre le cinéma et les arts plastiques "que Marcel Duchamp avait commencé à arpenter, et que seule une vision fatiguée nous fait apparaître comme divisé".
La série photographique Happy Days possède de nombreuses références à l'histoire de l'art et à l'enfance. Mais le sujet de prédilection de l'artiste est le corps féminin, sujet atemporel, véritable prétexte pour emmener la photographie sur différents territoires et ainsi explorer ses limites. Alain Fleischer s'en explique en ces termes : "Le corps du nu féminin peint (et rephotographié pour être projeté, reflété et parcouru de la tête aux pieds) est ainsi cadré par le miroir : comme suspendu entre la première et la dernière image d'un plan de cinéma, le corps est suspendu aussi au-dessus d'une image unique sur laquelle il dépose une traînée lumineuse, et la photographie n'est plus un instantané prélevé du réel, mais du réel dans une fiction de temps. La prise de vue photographique a ressemblé au tournage d'un plan de cinéma". L'installation qui en découle est saisissante : un dispositif ingénieux composée de projecteurs dirigés sur un bassin où des miroirs, légèrement mis en mouvement par un ventilateur, reflètent les images aux murs. Entre les séries photographiques, certaines installations d'Alain Fleischer sont pensées comme des respirations ou des synthèses. Pour faire transparaître ses préoccupations, il convoque tous les moyens d'expression dont il dispose, comme pour mieux marquer de son empreinte l'histoire de l'art.
Dans l'obscurité, apparaissent les portraits de poilus, visibles grâce à une lumière inactinique. Le regard des morts, dispositif de chambre noire, (les lumières, les bassins-cadres de révélateur) se compose de photos voulues non fixées et ainsi condamnées au destin semblable à tous ces visages, celui de la disparition. Cette installation d'inspiration boltanskienne interpelle la mémoire cognitive et sensitive du spectateur. Lors de sa présentation au Centre national de la photographie en 1995, il s'agissait de visages d'hommes et de femmes reproduits d'après des médaillons de tombes de cimetières juifs en Italie.
Alain Fleischer est un personnage singulier qui ne cesse jamais d'explorer de nouveaux champs de la création en gardant en tête ses propres interrogations. Aujourd'hui, il est célébré dans plusieurs lieux parisiens et quelques personnalités de l'art (Daniel Arasse, Philippe Dagen, Hubert Damisch, Georges Didi-Huberman, Dominique Païni, etc.) ont signé le catalogue à l'ambition rétrospective et référentielle. Un candidat idéal pour la prochaine Biennale de Venise ?
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